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Type de textesource
TitreL’Apologie du Theatre
AuteursScudéry, Georges
Date de rédaction
Date de publication originale1639
Titre traduit
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Editeur moderne
Date de reprint

, p. 93-94

[[1:Plutarque]] Mais pour passer de la preocupation à l’ignorance, disons qu’Apelles n’eut pas mauvaise grace, lors qu’il dit au plus grand Prince de la terre, que tant qu’il n’avoit fait que regarder ses peintures, et dire en termes generaux qu’elles estoyent belles chacun abusé de sa bonne mine, et de la pompe de ses habits, auoit creu qu’il s’y connoissoit : mais qu’aussi tost qu’il estoit voulu mesler de discourir, du dessaing, de l’ordonnance, du poinct de veüe, de la perspective, des r’enfondremens, et du coloris, les petits garçons qui broyoient ses couleurs s’estoyent mis à rire, l’oyant parler d’une chose qu’il n’entendoit point ; en des termes mal apliquez ; et qui chocquoient les regles de l’Art. Ie pense que quelques ieunes gens de la court, n’auront pas subiet de se pleindre, si ie les compare avec Alexandre, qui estoit bien d’aussi bonne maison qu’eux, et pour le moins aussi honeste homme. Et si ie leur dis, que lors qu’ils se contentent de dire qu’une piece est belle, sans aprofondir les choses, leuyr bonne mine, leur castor poinctu, leur belle teste, leur collet de mille francs, leur manteau court, et leurs belles bottes, feront croire qu’ils s’y connoissent : mais lors que pour condamner un ouvrage, par une lumiere confuse, ils feront un galimatias de belles paroles, et voudront parler de regles ; d’unité daction et de lieu ; de vingt quatre heures ; de liaison de scene ; et de peripetie ; qu’ils ne trouvent pas estrange, si ceux qui sçavent l’Art s’en moquent ; et si leur opinion n’est point suivie.

Dans :Apelle et Alexandre(Lien)

, p. 13-14

Ce n’est pas à dire pourtant, qu’il ne soit permis aux Poëtes, de produire sur la scene, et les meschans, et leurs maximes : tant s’en faut ; comme les contraires se font paroistre davantage, il est bon d’opposer le vice à la vertu, pour en relever d’autant plus l’esclat : mais il faut tousiours establir le throsne de cette reine, sur les ruines de ce tiran si dangereux : et faire toujours triompher à la fin, cette vertu persecutée. Comme l’image d’un Thersite quand elle est bien faite, donne autant de plaisir à voir que celle d’Helene, il n’est pas défendu de representer aussi bien, aussi naïfvement un Sinon comme un Nestor, pourveu que l’un soit detesté comme meschant, et l’autre estimé comme bon : et que les propos dangereux, soyent tousiours mis en la bouche des mechantes personnes.

Dans :Cadavres et bêtes sauvages, ou le plaisir de la représentation(Lien)

, p. 85-86

[[2:Tableau du bon comédien]] Il faut s’il est possible, qu’ils[[5:les comédiens.]] se metamorphosent, aux personnages qu’ils representent. Et qu’ils s’en impriment toutes les passions, pour les imprimer aux autres ; qu’ils se trompent les premiers, pour tromper le spectateur en suite ; qu’ils se croyent empereurs ou pauvres ; infortunés ou contens, pour se faire croire tels ; et de cette sorte, ils pourront aquerir et meriter, la gloire, qu’avoyent aquise et que méritoyent leurs devanciers. Un celebre autheur [[1:Quintilien]], dit avoir vu des comediens si fort engagez dans un rosle triste, qu’ils en pleuroient encore au logis : [[1:Plutarque en la vie de Ciceron]] et cet Æsope de qui i’ay desia parlé, ioüant un iour le rosle d’Atrée, en fureur contre son frere, tua d’un coup de sceptre un de ses valets, qui passa fortuitement devant lui pour traverser le theatre, tant il estoit hors de soy mesme ; et tant il avoit espousé la passion de ce Roy qu’il representoit. Mais nous pouvons encore adiouter icy, un Polus comedien grec, qui representant une tragedie de Sophocle intitulée Electre, au lieu de l’urne d’Oreste, aporta sur le theatre celle où estoyent les cendres d’un fils unique que cet acteur avoit perdu depuis peu ; si bien qu’il representa naifvement sa propre douleur, sous le nom feint de celle d’un autre. Voilà les exemples que doivent suivre et imiter nos comediens.

Dans :Polos, si vis me flere(Lien)

, p. 89-90

Je pense qu’on les peut separer en trois ordres ; sçavans, preocupez, et ignorans : et subdiviser encor ces derniers, en ignorans des galleries, et en ignorans du parterre. Quant aux premiers qui sont les doctes, c’est pour eux que les ecrivains du théâtre doivent imiter ce peintre de l’Antiquité, c’est à dire, avoir toujours le pinceau à la main, prest d’effacer toutes les choses, qu’ils ne trouveront pas raisonnables ; ne se croire jamais à leur préjudice ; se faire des loix inviolables de leurs opinions ; et songer qu’indubitablement, on n’est jamais bon juge en sa propre cause.

Dans :Apelle et le cordonnier(Lien)